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Et sa commère d’Occident, Annette, qui a déjà fait ses malles et se tient prête à déloger, sans pensée de retour, n’a jamais cultivé son jardin avec plus d’amour. Elle a beau être immobilisée : tout le dehors vient à l’esprit qui l’aspire. Tout le dehors est à l’esprit. L’esprit prend. Annette, qui sincèrement croit avoir renoncé, n’a renoncé qu’à soi, — nullement à prendre. Elle ne s’en doute pas, elle est de bonne foi. Mais si, de bonne foi, elle s’oublie, c’est qu’elle a trop à faire pour se rappeler qu’elle existe : ce qui existe pour elle, c’est tout cela qui est au dehors, qui est au delà ; elle est avide de connaître et d’embrasser plus, un peu plus, un petit peu plus encore, de tout cela qu’elle va quitter. Elle s’efforce d’épouser la vie d’esprit de ses deux amis. Elle suit de près les publications orientalistes et les revues de sciences. Tant bien que mal, elle a rejoint l’équipe de la pensée occidentale. Julien Davy l’y aide encore, comme il faisait, au temps des entretiens de jeunesse, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Jamais ils ne se sont rien dit de la pensée que Marc a dérobée aux yeux de sa mère, ce jour d’été sur la montagne, où Annette a, en rêvant, trahi son secret. Peut-être Julien avait-il aussi lu (cru lire) le secret ; mais il était trop humble et trop craintif en amour, pour n’en pas douter. Et il avait très bien senti que la mort de Marc avait mis fin à tout projet de vie commune : le mort régnait seul, au foyer. Julien le comprenait et s’effaçait. Et cependant, jamais leurs cœurs n’avaient été plus proches. S’était tissée entre le vieux homme et la vieille femme une secrète entente, grave et tendre. Nul besoin de mots pour l’exprimer…

De loin en loin, Julien venait revoir Annette, entre les longs voyages de conférences et d’études qu’il