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bruit et sans fumée, comme une veilleuse, mais consumait l’huile de la lampe.

Tout état qui se prolonge tend au nihil. Son intensité ne l’en défend point. Dans le continu, le tout et le rien sont frères jumeaux. Le plus poignant contact charnel, s’il ne s’interrompt et ne se renouvelle, se fond dans le gouffre de l’être. La conscience perpétuelle se résout en une lumière sans ombres, donc sans contours délimités. L’œil, solitaire, remplit tout ; et, rien ne le bornant, il se perd. La chouette aux prunelles élargies ne distingue plus entre le jour aveuglant du dehors et la nuit claire du dedans. Et, dans le même temps que Annette s’identifie avec les autres êtres — l’un après l’autre, ou tous ensemble, — elle se dépouille du sien, qui les possède. Alors, que possède-t-elle ? Rien ? L’intelligence et l’amour sont ses organes de préhension de l’univers. Mais si cet être, si son moi, dont ces organes font partie, échappe à son appartenance, c’est l’univers qui les entraîne, comme un requin au bout de la corde du harpon. Et la barque est vide, sur la mer.

Annette se hâte de plonger, pour échapper à l’angoisse de cette terrible solitude sous le soleil. Mais elle sait qu’un jour, une heure qui sont proches, il lui faudra y arriver. Il lui faudra mourir, seule. Et d’y penser, une sueur glacée lui mouille déjà les tempes. Mourir n’est rien, pour une Annette. Et ce n’est rien, de rejeter les vêtements inutiles, la chemise du corps, ses fièvres et ses mortels enchantements… Mais les plus chères affections, faudra-t-il qu’à la fin, elles tombent aussi ?… Elle se crispe, elle dit : — « Non ! » — Mais « non », ou « oui », lui appartiennent-ils ? Sera-t-elle appelée à en disposer, quand les forces inconnues disposeront d’elle ?… (Elle les sent déjà qui travaillent au fond, elles ont commencé de dispo-