Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/61

Cette page n’a pas encore été corrigée

ties font pour les vendus de la presse et du Parlement, ou pour une élite à l’engrais, Assia leur eût recraché à la face leurs faveurs. La faveur est une autre servitude, la plus basse, la monnayée. Celle-là, du moins, son Marc ne l’accepterait jamais, et il n’y avait pas de risques qu’on la lui offrît : c’était pour cela qu’il lui restait cher. — Mais pourquoi se résignait-il à refuser la servitude, sans renverser l’ordre asservisseur ? Certes, il ne le pouvait à moins de s’astreindre à une discipline de combat, qui était un nouveau contrat de servage, mais consenti, mais temporaire, et pour un but qui légitimait les sacrifices.

Il faut ajouter que la rigueur de ceux-ci apparaissait à Assia fort diminuée, quand on les considérait de la rue de Grenelle. La chaîne y était distendue, surtout pour une libre passante qui vient flairer. La dictature est légère, quand on la soupèse du dehors. Pour l’instant, elle n’entrait pas en ligne de compte dans les pensées de Assia. Assia n’avait pas affaire aux moyens ; elle voyait l’œuvre et les fins. Les unes et l’autre l’exaltaient. On bâtissait un monde nouveau, à la mesure des cent soixante millions d’êtres humains, qui, de gré ou de force, étaient enrôlés sur le chantier. L’imbécillité du vieux monde ennemi, incapable de combattre ou d’accepter, avait prétendu les étouffer en les bloquant dans leur maison en ruines et leur refusant l’air du dehors. Ils avaient relevé le défi et fait de la nécessité meurtrière la loi de leur élan créateur. Sur les ruines de la vieille masure surgissaient les constructions babyloniennes de l’Esprit qui capte les forces des éléments. La première ébauche s’annonçait des grands Plans, d’où devaient sortir cette faune de monstres préhistoriques, les Dnieprostoï, les Avtostroy, les Magnitogorsk, qui de leurs trompes et de leurs défenses fouillent le sang de l’eau, de l’air et de la terre, et tous