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candeur Mazzinienne, souffrait de cet athéisme moral.

Mais Annette savait ce qu’il en fallait penser : elle connaissait George, mieux que George ne se connaissait : — cette absolue pureté de nature, où George ne voulait voir qu’un instinct de propreté, — ce grand amour pour Vania, cette fraternité passionnée que George n’aurait su expliquer, mais à laquelle elle se fût sacrifiée sans discuter, — bien d’autres sentiments profonds et sans raison, qui participaient, sans qu’elle s’en doutât, à une foi… Et le plus curieux : cette fille claire, dont toute la vie semblait se dérouler sans un coin d’ombre, dans une lumière de gai bon sens et de santé, — tout étalé, rien de caché, — perdait le contrôle sur soi-même, dès qu’elle empoignait son violon. Elle en jouait, d’une façon incorrecte ; mais au premier tranchant de l’archet, on sentait la présence du démon. Elle tirait des quatre cordes des cris d’âme, qui prenaient le cœur et le bouleversaient. Elle-même, ses yeux, ses traits, se transformaient. Elle pâlissait. Sa bouche, fermée, se durcissait. L’ossature du front tendu s’accusait. Elle était marquée d’un sérieux tragique. Une paix cruelle. Et brusquement, des coups de vent sur la plaine, des galops de joie et de colère, des cinglements d’archet à la tzigane… Toute la maison faisait silence pour l’entendre. Mais chacun restait dans sa chambre, elle dans la sienne ; et l’on se gardait de se montrer : elle eût immédiatement jeté l’archet. Vania était le seul qu’elle tolérât, — à condition qu’elle l’oubliât : il était couché par terre, vautré sur la descente de lit : il y enfonçait ses doigts crispés et son nez ; dans son émotion, il arrachait avec ses ongles les poils de la peau de chèvre du Thibet. Quand George revenait à elle et à lui, elle le calottait…

Silvio, debout dans le jardin, adossé contre le mur,