Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/604

Cette page n’a pas encore été corrigée

partis que la malchance de l’exil exaspère. Il s’en écarte, et il vit seul, avec ses rêves de poésie et d’action, qui couvent sous la cendre grise des jours de peine, gagnant sa vie difficilement. Dès qu’il a une après-midi de congé, il accourt à Meudon ; il y a porté, dès le premier jour, sa gratitude et ses remords : car il n’oublie pas qu’à Mme Rivière il a coûté son fils. Annette ne l’oublie pas non plus ; et elle accepte Silvio — (elle le lui a dit) — pour prix du sang :

— « Tu m’appartiens. »

Silvio a pris le mot au sérieux. Il est l’homme-lige. Il aime à le dire. Il y apporte un sentiment d’honneur chevaleresque.

Il triche un peu avec lui-même. Il ne serait peut-être pas aussi assidu, à Meudon, s’il n’y était attiré par d’autres yeux. George le fascine, et il est incapable de le lui cacher. Ses sentiments s’étalent avec une fougueuse naïveté. George lui rit au nez. Il y a entre eux six ans de distance : Silvio a franchi de peu les vingt ans ; et George en est à mi-chemin de la cote 26 à la 27. Mais Silvio ne s’arrête pas à ces bagatelles. Tous deux, de beaux chiens de race, grands et solides, bien découplés. En approchant de la trentaine, George prend le type d’une Manon Roland, forte et fine, blonde et rose, la gorge ferme et abondante. Elle lève et traîne autour d’elle, impatientée, les désirs des hommes qui passent dans son sillage ; et elle les trouve assommants. Annette lui dit :

— « Ferme ta lanterne ! Amortis le feu ! »

— « De quoi ? » dit-elle. « Est-ce que je les regarde ? »

— « Tu as trop de vie. Tu les affames. »

— « Il faudra peut-être que je la serre dans mon placard ? »

— « J’ai bien peur que, même sous clef, ils ne l’éventent. Ça sent trop fort ! »