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Assia éprouvait une satisfaction hostile à lui vanter ce qu’elle avait appris. Il était fatal que s’établissent dans l’esprit et de l’un et de l’autre des comparaisons entre la stérilité d’opposition de Marc et la féconde énergie de l’U. R. S. S., de ceux qui agissent. Marc, qui faisait lui-même ces comparaisons et en souffrait, ne tolérait point que Assia les lui fît. Leur duel de pensée s’envenima ; en l’exprimant, ils accentuaient ce qui les divisait. Marc finit par demander à Assia, sur un ton impératif, qu’elle cessât d’aller à son bureau. Assia répondit : « — Non ! » et vertement. Elle était libre…

Étrange façon d’affirmer sa liberté que de courir à ceux qui avaient établi sur l’immense Union des Républiques Socialistes Soviétiques la main de fer d’une dictature idéologique, sociale, économique et policière, et qui eussent voulu l’établir sur tout le reste de la terre ! Mais par réaction contre le libéralisme d’Occident inorganisé, invertébré, sans franchise et sans vigueur, qui faisait le jeu des pires exploiteurs, la brutalité de Moscou, qui s’employait au service des classes exploitées, faisait l’effet d’une bise qui fouette et désintoxique le sang. Elle décrassait le cerveau lourd et oxydé par la rouille de la pensée sans volonté de France. Nulle servitude plus répugnante que celle qui accepte en se leurrant, ou bien qui boude sans se révolter virilement, — celle de l’Occident. Assia se sentait plus libre, sous les cuisses dures d’une dictature qui chevauche les peuples, pour les mener à la victoire, que parquée dans les clôtures d’une pseudo-démocratie, qui laisse paître ses troupeaux — ou bien crever de faim — sans leur permettre d’en sortir et d’agir, en attendant l’heure où elle dispose d’eux, ou pour la guerre ou pour la paix, — ou pour la tonte ou pour l’étal. L’eût-on assurée qu’elle bénéficierait, elle et les siens, d’un traitement de faveur, comme ces démocra-