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mais non les doigts d’une femme) — s’efforce à l’obligatoire courtoisie de qui reçoit dans sa maison. Mais en disant des politesses, ses narines hostiles flairent l’intruse. Elles ne restent pas longtemps crispées. Bernadette n’est pas venue seule. Le regard d’Annette, qui l’a parcourue, sans en avoir l’air, du haut en bas, a rencontré la petite fille qui accompagne la visiteuse ; et il y reste rivé. Bernadette, dont les yeux vifs, aigus, fuyants, de belette maigre et allongée, ne quittent pas les moindres mouvements de l’hôtesse, tout en débitant des mots aimables et vides de sens, guette le regard pris au piège ; et ses paupières ont un bref battement :

— « C’est fait ! Le coup a porté… »

La petite fille, de huit à neuf ans, est le portrait retouché d’un autre enfant, à qui nul au monde ne pense plus, — hors la vieille femme qui regarde : car elle est la seule à l’avoir vu. La petite a ses prunelles mobiles et fiévreuses, l’ovale maigre et fin du visage, le front osseux, et la pâleur et l’air résolu. Il y a plus : jusqu’au costume qui l’évoque : le grand col marin, la veste bleue à larges boutons, et les cheveux longs et plats de petit Bonaparte. Comment a-t-on pu le reconstituer ? Comment cette femme a-t-elle eu l’audace de mettre la main sur cette relique, — une photographie d’enfant, jaune et usée, dont Sylvie était la seule, avec Annette, à posséder un exemplaire ?… — Mais la pire audace, ce n’est pas le cadre du visage, les cheveux, le col, le vêtement, — c’est cet être-là, qui est dedans… « Quand et comment me l’a-t-elle volé ?… »

Les deux femmes n’échangent pas un mot du dialogue violent qui se livre entre leurs pensées :

— « Où l’as-tu pris ? »

— « Tu le reconnais ? »

— « Non, non, c’est faux ! »