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trop petite encore pour ce voyage : elle sera du voyage suivant…

L’éloignement de quelques années, pour Assia, n’a point compté. Quand elle remonte le chemin qui mène à la maison sur la lisière des bois de Meudon, il lui semble que c’est hier qu’elle est venue. Elle n’oublie rien. Elle a trois ou quatre compartiments de mémoire superposés, qu’elle ouvre ou ferme, à volonté. Le plus profond, le plus secret, est celui où elle conserve Marc et Annette. Elle ne l’ouvre que de loin en loin, — plutôt dans ces périodes d’évasion, où elle disparait du cercle de ses amis américains. Car l’odeur qui se dégage du coffret est trop forte : Assia suffoque… — « Marc !… » Seule, dans une maison perdue près de Cuzko, ou dans une chambre d’hôtel chinois, vautrée sur le lit ou sur une natte, pendant des heures, elle redévore ses souvenirs, elle les remâche jusqu’à ce qu’elle en défaille, d’amère volupté et de douleur. Elle y macère, des jours, des jours, dans le vinaigre et dans les herbes parfumées… Non, elle ne peut s’offrir le luxe de ce trouble, au milieu de l’action. Que le coffret demeure fermé !…

Quand elle le rapporte à Meudon, pour que les doigts d’Annette le rouvrent, le trouble s’apaise et s’épure, l’amertume se mue en douceur : ce sont les jours anciens qui revivent, sans blessures… Ils n’entrent pas en conflit avec les jours nouveaux, la vie refaite et qui essaime. Annette sourit au petit bonhomme américain, roux et joufflu, qui lui dit : — « Madame », — en la fixant, d’un air sérieux et intimidé ; et elle lui pince le menton :

— « On dit : « Mère-grand », mon petit loup rouge, Tu ne sais donc pas que cette grande fille est ma fille ? »

Mais quand Waldo, le petit loup rouge, se trouve avec Vania, nez à nez, les deux garçons se dévisagent