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roulés dans le goudron et dans la plume, foulés aux pieds. L’un ou l’autre périra, assassiné et mutilé, au poteau de torture. — La « Russe » ne court pas les moindres dangers. Elle est dénoncée par les prêcheurs du Ku-klux-klan comme un Satan femelle, qu’on a le devoir de rendre au feu. Mais ses amis lui forment une garde aux yeux toujours ouverts. Et elle bénéficie de certaines hautes protections qui ne s’affichent pas, qui ne tiennent pas à se laisser connaître, mais qu’elle connaît et qui agissent en secret pour la défendre. Même parmi les officiels, il est des hommes éclairés qui apprécient l’œuvre désintéressée de cette petite Ligue de la meilleure Amérique et comptent parmi ses membres des amis.

Après des péripéties variées, dont Annette n’apprendra rien, Assia se voit pourtant forcée de quitter les États-Unis. Son mari, dont elle a ruiné deux ou trois fois la situation, et qui ne s’en plaint pas, qui l’admire, doit, deux ou trois fois, chercher d’autres champs d’activité, comme ingénieur, au Mexique, puis en Bolivie et au Pérou. Elle le suit et, où qu’elle passe, ne tarde pas à s’allumer sous ses pas un nouveau foyer d’agitation. La cause Indienne d’Amérique à présent la passionne ; Assia cherche à la rattacher aux grands mouvements d’émancipation asiatique, que fomente la Ligue antiimpérialiste. Elle court les Andes. De temps en temps, on la revoit, éreintée, qui refait son lustre et son embonpoint, dans les salons de San-Francisco, ou dans les grands hôtels de Shanghaï. On prétend même qu’on l’a rencontrée dans le Transsibérien ; elle a repris contact avec Moscou. — Dans cette vie de mouvement perpétuel, elle a trouvé moyen de fabriquer à son mari deux enfants : un garçonnet, qu’il lui prendra brusquement fantaisie d’amener à Annette — (il est alors âgé de cinq à six ans) — et une fillette,