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bâilla prudemment, et Assia fut admise dans l’antichambre. Quand son petit fut sevré — ( et Assia ne lui demanda pas son avis pour le faire), — elle se déchargea de lui sur Annette, qui ne demandait pas mieux, et elle s’en alla travailler à la Représentation Commerciale. Ainsi que les candidats à la chrétienté, des premiers temps, qui étaient admis à suivre l’office, sous le portique, hors du sanctuaire, Assia eut sa table de travail, au vestibule, dans une salle d’à côté. Et peu à peu, elle y passa des journées.

Elle y goûtait une satisfaction, sur la nature de laquelle elle ne cherchait pas à s’expliquer. Elle ne convenait pas qu’elle se retrouvait sur le sol natal de sa pensée. Elle affectait de s’en croire, et non sans rancune, libérée. Mais, contre l’autre sol où ses racines étaient prises, c’était une secrète évasion… — « Vous ne me tenez pas… Ni toi, ni toi !… » Elle en éprouvait un soulagement. Le soir, au sortir de l’atmosphère russe, elle avait plus de plaisir à retrouver son foyer français. Mais pour apprécier celui-ci tout-à-fait, elle avait besoin d’en être sortie. Bonne excuse envers soi, pour le fuir !

L’excuse n’était point bonne pour Marc. (Aussi bien, Assia ne lui en faisait point part. Elle n’eût pas condescendu à des excuses.) Il était sombre. Il s’enfermait dans un mutisme raidi et courroucé. C’était le pire. Il avait l’air d’un maître vexé. Passe encore de faire le maître, si l’on est le plus fort. Mais si l’on est le plus faible, quel ridicule ! La souple échine d’une Assia eût frémi, non sans jouissance, sous la griffe. Quitte à reprendre plus tard sa revanche ! Mais ces babines boudeuses, ces sourcils froncés, ce dépit impuissant, qui ne daigne (qui n’ose) même pas se formuler… Juste assez pour lui faire sentir qu’il avait le vouloir, sans le pouvoir, de l’asservir. Et pour l’inciter à s’affranchir.