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nues et son petit râble ferme et dodu : il ne sentait rien, il était parti, il avait l’air d’un bienheureux. On l’était, en le regardant. Jusqu’au matin, on ne l’entendait plus remuer… Il s’éveillait pourtant, à la pointe de l’aube, avec les oiseaux du jardin ; et presque toutes les nuits, l’espace de quelques minutes, (peut-être cinq, peut-être moins, mais il eût pu croire une heure ou deux…), il avait alors un vol plané, où sa pensée vibrait dans une illumination exaltée, très différente de celle de la journée. Cette illumination était faite, en partie, de la phosphorescence des rêves qu’il venait de sécréter, et dont, en émergeant du sommeil, il tâchait de ruminer la saveur et le sens. Et elle était faite aussi, à cet instant privilégié, de mystérieux souvenirs oubliés, qui remontaient, comme une fumée, de sa vie d’enfant où ils avaient été enregistrés, sans qu’il les eût remarqués. Une sagesse étrange, pour une seconde éveillée, lui faisait reconnaître en eux la clef des êtres auxquels sa vie était liée : son père, sa mère, Annette, George, — ses satellites. Il les scrutait ; et parfois, il avait un « toc ! » dans la poitrine, quand il faisait ou croyait faire une découverte défendue… Voir sans être vu… Voir ce qui ne doit pas être vu… Il avait l’anneau des Mille et une Nuits… Puis, il se rendormait, d’un coup, à poings fermés, jusqu’à ce que George le réveillât. Et il ne se souvenait plus de rien de ce qui s’était passé, pendant la révélation nocturne. Rien cependant n’était perdu. Tout s’inscrivait sur le livre intérieur, dont la rédaction, de nuit en nuit, se poursuivait. Et de brusques lueurs en affleuraient, le long du jour, à des moments imprévus. Très rarement aux minutes de repos, qui étaient de repos plein — ( « Je ne pense à rien ! » ) — ou aux heures d’études — (le regard fixe, il suit la piste d’une idée : « Je ne vois rien d’autre »…), — mais en pleine action, dans la