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d’une voix tendre, enjôleuse, suppliante, impatiente, qui chuchotait moins bas, plus du tout bas, qui finissait par exploser :

— « Bonjour, bonjour, dis-moi bonjour !… Annette, tu dors ? Tu ne dors pas. Tu te fiches de moi… Nom d’un chien ! Je vais te tirer les oreilles… »

Annette grondait :

— « Allez coucher ! Veux-tu rester tranquille !… »

— « Ouf ! » disait Sylvie rassurée, « ça fait du bien ! Mon Annette meugle. On est encore dessus le pré des vivants… »

Mais quelquefois, son inquiétude du silence se manifestait, d’une façon plus angoissée. Au sortir de ces trous de sommeils qui l’engloutissaient, comme une petite mort, elle n’était pas bien sûre de vivre encore. Mais de plus en plus, à mesure que ses énergies s’y diluaient, elle réapparaissait au réveil, comme une citerne de chaude affection, qui avait besoin de se répandre, qui avait besoin de boire l’affection, en retour. Annette ne résistait pas à certains accents. Elle sortait du lit et allait passer ses bras autour du cou, sous la nuque grasse de la cadette. Une torpeur écrasait ce corps appesanti de Bethsabée. Et ces seins lourds étaient en sueur. La respiration était un peu rauque. Mais Sylvie gardait toujours la finesse de ses poignets et son beau visage, plus beau, qu’un chaud sourire illuminait.

Elle n’avait presque jamais de mélancolie du passé. Elle se mouvait, avec une étonnante tranquillité, parmi les catastrophes de leurs deux vies. Elle rappela à sa sœur la mort de sa petite fille ; mais son récit n’avait rien d’amer : elle caressait la main d’Annette, pendant tout le temps qu’elle le conta, avec une étrange douceur. Cet apaisement était d’un grand bien pour Annette. Sylvie, alors, lui en imposait.