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Après quelques légers étourdissements — un plus sérieux, où elle heurta du front la tôle rougie du poêle — (elle n’en parla à quiconque) — elle consentit à quelques soins : elle se purgea, elle se mit aux pieds des sinapismes. Mais elle ne changea rien à sa vie.

Et comme, après des jours de quasi-jeûne, (par lassitude, indifférence, paresse, ennui de descendre et remonter l’escalier), il lui venait des fringales, où l’estomac et le palais exigeaient leur revanche, elle se décarêma avec une platée d’huîtres, du foie gras, un camembert, et du Vouvray. — Elle eut de la chance, ce jour-là, que sa porte sur l’escalier, par négligence, fût ouverte, et que la concierge, ayant à lui monter une lettre, entrât. Elle la trouva écroulée dans un fauteuil, la tête pendante sur l’épaule, le corps glissé sur le parquet. Sylvie venait d’avoir un coup de sang. Un médecin habitait dans la maison. Les premiers soins ne se firent pas attendre ; et déjà Sylvie avait repris connaissance (elle prétendit qu’elle ne l’avait jamais perdue), quand accourut Annette alertée. Mais ce fut le dernier exploit de son indépendance.

Annette déclara qu’elle ne tolérerait pas plus longtemps, puisque Sylvie était incapable de se conduire, qu’elle vécût seule, à l’écart. Elle l’empoignait, elle l’emportait, elle allait la boucler chez elle. Annette avait repris, pour la circonstance, son visage de « Madame j’ordonne », des anciens jours. Sylvie sourit, essaya de protester pour la forme ; mais sa langue avait peine à remuer ; elle esquissa la mine de l’Innocence asservie par la Force, qui s’abandonne sans résistance, mais en appelle aux dieux. Elle était, in petto, bien contente. L’indignation, non jouée, d’Annette, et son air d’autorité, avec l’étreinte de ses mains affectueuses, venaient de lui évoquer les vieux beaux jours, où déjà la sœur aînée était venue, en tourbillon,