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modeste logement, qui, de semestre en semestre, s’appauvrissait : — car elle vendait l’un après l’autre, quelque meuble, pour satisfaire aux caprices de son dernier maître et amant : la musique. Elle n’avait pas abdiqué l’orgueil. Elle se trouvait bien de son dénuement, mais comme d’une affaire strictement personnelle. Il ne lui plaisait pas que le nez des autres s’y fourrât, qu’il se retroussât, qu’il remuât, d’un air de commisération indiscrète. La commisération était un article que Sylvie tenait peu dans sa boutique, et qu’elle n’acceptait absolument point des autres.

— « Garde ta pitié, mon ami ! »

Cette fierté ombrageuse n’était encore que le moindre motif de sa réclusion volontaire. Le vrai motif était qu’elle s’y trouvait bien. Jamais Sylvie n’eût pratiqué un sacrifice qui ne lui plût. Le plaisir était, restait, sa loi. Elle était chatte. Et, comme les chattes, après avoir couru la nuit sur les toits, elle cherchait un meuble dans un coin pour s’assoupir. Ces sommeils de chatte, — profonds, moelleux, interminables, impénétrables… On les envie !… Ils réalisent le paradis, plus sûrement que celui que nous promettent les Écritures… Dormir, dormir… « Rêver, peut-être… » Sûrement, elle rêvait, Sylvie la chatte ! Elle qui n’avait jamais, avant, beaucoup rêvé — (elle n’avait pas eu le temps, elle enjambait du désir à l’acte) — elle s’en donnait, à présent, du rêve ! Pour tout l’arriéré de sa vie et pour toutes les vies à venir… Elle eût été fort en peine de dire ses rêves : (Qui donc le peut ? On n’en attrape que quelques miettes, qu’on pétrit entre ses doigts…) Mais elle en bourdonnait, comme un clocher. Et, par moments, elle en sentait le tremblement jusque dans ses pieds.

Toute une riche vie intérieure, dont elle n’avait rien fait dans la vie, — une vie du cœur, une vie des sens