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ven, ou Wagner, le nom importait peu à la chose. Ce qui comptait, c’était la famille, c’était eux. Quand ils criaient : — « Bravo ! » c’était à eux. Et Sylvie était leur coryphée.

Maintenant, on la connaissait, aux galeries ; et sa légende avait circulé. Quand elle descendait en hésitant les marches trop espacées, quelques petites jeunes filles s’empressaient, ou un adolescent très courtois, guindé, troublé, qui la soutenait respectueusement par le bras. Son heure de célébrité, effacée dans le monde des éphémères — ce Tout-Paris des places d’en bas — gardait encore une phosphorescence dans l’ombre du petit peuple de dessous la voûte. Elle restait dans l’imagination de ces jeunes gens la vieille reine de Saba — l’impératrice de la couture, la magicienne des fêtes galantes — Sylvie… le nom évocateur de féeries à la Watteau… Ils lui formaient une petite cour, en redescendant l’escalier, mais prudemment, et à distance du privilégié, qu’elle admettait à l’honneur de lui tenir non la traîne, mais le poignet : car elle avait des façons brusques et déconcertantes de les fixer ou de répondre à leurs amabilités ; et arrivée au bas de l’escalier, elle les congédiait tous, d’un geste bref et péremptoire. La Sylvie n’avait pas besoin de béquilles pour marcher. Et elle ne supportait pas, au sortir du concert, d’être dérangée dans ses pensées. — Toutefois, après qu’elle s’était secouée de sa suite, elle avait un rire goguenard et bienveillant pour ce petit peuple, ces petits jeunes gens qu’elle venait de rudoyer.

Elle rentrait seule. Et dans la chambre froide, avant de s’être décoiffée, elle allait tâtonner sur le clavier, cherchant la trace sur la mousse des beaux pieds nus de la mélodie, qui tout à l’heure lui avait marché sur le cœur. Elle y réussissait souvent, — à sa façon, qui