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fille de Paris dégourdie dans tous les jeux de la vie, de la toilette, du métier, et de l’amour… L’âge n’avait point de prise sur elles. Et la difficulté même était pour elles un attrait. Mais il est permis de douter que l’attrait fût partagé par les locataires d’à côté. C’était le cadet de ses soucis !

Elle apprit aussi le chemin des concerts. Elle y allait aux places bon marché. Par raison, d’abord : faute de pécune. Mais également par goût, car elle ne se trouvait à l’aise que parmi cette jeunesse et ceux pour qui l’art et ses jouissances exigent des sacrifices : ce sont les seuls qui savent en jouir ; ils n’y trempent pas le bout de la langue ou d’un doigt dégoûté, comme ces blasés qui sont aux loges ; ils y piquent la tête et ils y plongent, narines ouvertes, jusqu’à crever ; quand ils en ressortent, c’est avec des yeux exorbités. Sylvie avait ces yeux-là, à certains morceaux de la Damnation et à des finales de Beethoven. Au dernier accord, elle trépignait. Et les voisins amusés se désignaient cette petite femme impérieuse, au visage bouleversé par l’émotion, qui piaffait en soufflant des naseaux. Elle paraissait ne rien voir. L’orchestre et les chœurs ne jouaient que pour elle. Le reste de la salle n’existait pas. Elle eût trouvé naturel de crier au chef : — « Recommence ! » — C’était à elle, elle avait bien le droit d’en disposer… Ce flot de colère, ces transports, ou cette langueur, cette volupté… À moi, à moi !…

— « Recommence !… »

Elle le cria, une fois, d’une voix, d’un geste sans réplique. On rit autour d’elle. On l’applaudit. Elle les toisa. Puis, s’éveillant de son rêve, elle échangea avec ses voisins un clignement d’yeux et un sourire d’intelligence. Au fond, ils sentaient tous comme elle. On était tous de la famille. De qui ? De celui-là qui parlait pour eux : qu’il se nommât Berlioz, Beetho-