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seoir — s’asseoir au bord de son ruisseau — elle l’entendit qui chantait. Et elle s’appliqua à distinguer le sens de ce qu’il lui disait, depuis son enfance, et qu’elle n’avait jamais pu entendre : car elle parlait en même temps que lui.

Elle se tut… Se taire, c’était une science, un art (comme on voudra !) qui étaient demeurés toujours inconnus à Sylvie. Elle les apprit. Quelle découverte ! Le silence… La plus peuplée des harmonies… La matrice mûre et gonflée de tous les enfants de nos désirs… Sylvie couva les troupeaux de ses rêves… Puis, elle apprit, d’un doigt aveugle sur le clavier, à faire sortir à la lumière les frémissements ordonnés de ces ébauches d’êtres. Ils déroulaient le long de l’échelle leur silhouette grave ou légère, enrobée d’une traîne d’harmonies. Et de l’un à l’autre s’établissaient des attractions ou des conflits. Mais celles-là, comme ceux-ci, ne se jouaient point sur une scène extérieure aux regards. Ils s’inscrivaient au revers de l’écran, commue s’ils y étaient projetés par l’esprit. C’était soi-même qu’on jouait. On y errait…

Il s’agissait d’y trouver sa route.

Patiernm.ent, l’impatiente se soumit à des leçons élémentaires, dans des arrière-boutiques de marchands de pianos, où le grondement des autobus dans la rue étroite faisait vibrer les caisses des instruments. Elle étudia, dans sa mansarde, pendant des heures, de vieilles méthodes, achetées d’occasion à un bouquiniste du quartier. Avec une ténacité froide et acharnée, elle attela ses dix doigts à la roue des gammes qu’on roule et qu’on déroule ; et le passage du pouce fut, pour elle, quelques semaines, le « to be or not to be ». Pour une Sylvie, la réponse ne faisait point doute. Il eût fait beau voir que ses pattes n’obéissent point à sa volonté ! Ses pattes souples, patientes, rusées, de