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de quelque dancing. Quand d’aventure elle rattrapait l’oiseau, il lui laissait deux ou trois plumes dans la main, et s’évadait dans la forêt, où quelque monstre surgissait, qui l’écrabouillait sous ses pieds. Sylvie sacrait comme un troupier et renfonçait l’animal braillant dans l’abîme. Mais la satisfaction (c’en était une !) de broyer la gueule à ces veaux, ne compensait pas la perte de l’oiseau. Après des semaines de poursuite, la petite Argonaute s’avisa que le plus sûr moyen de mettre la main sur sa Colchide n’était pas d’attendre qu’elle vînt, mais d’y entrer manu militari, — par sa main souple et impérieuse.

À cinquante ans passés, elle apprit le piano. Sa nature n’était point, en quoi que ce fût, et même et surtout dans la jouissance, de rester passive. La musique, si elle l’adoptait, devait être active. Elle y apporta son énergie coutumière.

Elle n’en dit rien à personne. Mais un jour, Annette, montant les six étages, écarquilla les yeux en découvrant dans un angle de sa chambre un piano. Elle était trop avisée, pour plaisanter sa Sylvie. Mais elle n’avait pu déguiser sa surprise, et Sylvie prit les devants :

— « Oui, je me suis mise à cet outil-là. C’est une toquade. Tu dois bien rire ! Mais à mon âge, on ne compte plus avec le ridicule. On fait ce qui plaît. »

— « À tout âge, tu l’as fait, ma belle », dit Annette.
« Et ce n’est pas à celui d’aujourd’hui que je te chicanerai là-dessus. Je ris, mais de plaisir que tu trouves le tien à ce jouet. »

Le front de Sylvie s’éclaircit :

— « Entre folles, on se comprend. »

— « À force de vivre, on a déteint l’une sur l’autre. »

— « Je n’avais pas assez de mes folies, j’ai pris les tiennes. »