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près de sa fenêtre, seule dans sa chambre, aux premières heures de la nuit. Et la grande nuit, qui avait fui devant le bruit, retrouvant la place libre, redescendait au fond de l’âme. L’âme, assourdie, recommençait à entendre la douleur tapie dans les vieux membres et dans le cœur. Elle était prise désarmée ; elle ne pouvait faire un mouvement, et la glace du soir tomba sur les épaules. Elle était pauvre, nue et blessée. Elle attendait le coup de grâce.

Et ce fut la grâce qui lui vint. Du fond de la chambre, de l’angle obscur, derrière elle, une musique merveilleuse commença de sourdre. Elle s’épancha à larges flots, forts et tranquilles, qui lentement baignèrent les pauvres pieds gonflés, qui lentement montèrent autour des jambes, autour des cuisses, autour des reins ; et comme un long frisson dans la forêt, la chair frémit et la voix mystérieuse du sexe s’éleva comme un appel au fond des bois. Le chant, la plainte et l’ivresse, de proche en proche, gagnèrent tout le reste du corps, baignant les seins et les épaules ; et puis la bouche, sèche et ardente, y but. Et le front fut la dernière cime où affleura la crue. Les grandes nappes de la musique n’atteignirent la pensée que quand tout le corps y fut noyé. Chez d’autres, la tête est la porte du cœur. Mais la Sylvie tirait toute sa science de ses racines — de sa chair.

Et lorsque enfin sur l’étendue inondée, la cime commença de s’éveiller, Sylvie envahie prit conscience, comme Danaé, de la nuée d’or qui l’enlaçait, la pénétrait par tous les pores. Jamais elle n’avait connu un tel embrassement. Et la bouche entr’ouverte, extasiée, elle tendait les bras vers l’Amant.

Bien entendu, elle ne connut jamais le nom de l’œuvre qui l’avait possédée. À peine avait-elle quelques lueurs du genre d’œuvre, de la symphonie et de ses