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On ne comprenait pas — (Annette seule) — cette manie subite d’ascétisme. Ce n’en était pas pour Sylvie. Sa vie avait été démolie, par le milieu. De tout le corps du bâtiment, entre vingt-cinq et cinquante ans, il ne restait rien que des ruines. Et tout le fruit de son dur travail, à quoi cela a-t-il servi ? Ses plus chers n’en ont pas profité. Quant à cette Bernadette !… Baste ! Rien n’est rien… Elle revenait à son point de départ : le logement de l’avenue du Maine, ouvrant sur le long couloir commun, carrelé, où les pas impatients d’Annette étaient, un soir, venus la chercher[1].

Oui, la sœur aînée avait compris. Mais ce sont des secrets du cœur, que l’autre cœur qui a compris ne cherche pas à élucider : à chacun sa cache aux humbles jouets : — le souvenir et le rêve ! S’il la livrait, même au plus proche, il mourrait : c’est son ultime raison de vivre. Annette avait aussi la sienne, bien plus profonde et plus secrète. Autrement, d’où lui serait venu le calme, que rien ne pouvait expliquer dans sa vie veuve de son enfant, — ce calme auquel Sylvie frémissante venait se heurter, et qui l’eût déconcertée et irritée, si la petite cadette n’eût fini par connaître à fond maintenant cette âme à surprises ? Et Sylvie avait, elle aussi, appris (non sans peine) la sagesse de se taire sur les secrets de l’âme d’Annette, comme Annette sur ceux de Sylvie.

Que Annette parût moins atteinte qu’elle par la mort de Marc, Sylvie savait bien qu’il n’en était rien. Mais il ne lui déplaisait pas de s’attribuer cet avantage, en trichant avec ce qu’elle savait. Marc, disparu, tenait en elle une beaucoup plus grande place qu’elle n’eût pensé, quand il vivait. Tout un passé. Et Sylvie, qui le relisait, de la dernière ligne à la première, trouvait

  1. Annette et Sylvie.