Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/540

Cette page n’a pas encore été corrigée

Quelques jours avant, Sylvie était venue à la maison. Par bonne chance, Assia était sortie. Mais Sylvie, qui trouva seuls George avec Jean, apprit d’eux l’arrivée inopinée de la mère. Elle était incapable de voiler ses ressentiments. Cette femme, qui se serait fait couper en morceaux pour ceux qu’elle aimait, eût haché en morceaux ceux qu’elle haïssait ; — et le diable savait pourquoi parfois elle aimait ou haïssait ! (Suffit ! Elle, elle savait…) Elle était implacable, jusqu’à la déraison, — jusqu’à risquer d’empoisonner le cœur de ce petit garçon, qu’elle aimait. (Aimer quelqu’un ne signifie pas toujours vouloir son bien, mais vouloir le bien que soi, l’on veut !) N’alla-t-elle pas jusqu’à raconter, devant Vania, à George, qui en fut elle-même si saisie qu’elle ne songea point à préserver l’enfant, les folies du cœur qui avaient failli dévaster la vie conjugale des parents ! Et, bien entendu, elle les présentait sous le jour le plus injurieux pour la mère… Annette rentrait, à ce moment : elle happa quelques mots, elle vit la pâleur de l’enfant. Elle aussi changea de visage ; son regard flamba ; elle empoigna Sylvie par l’épaule, et violemment, la poussa vers la porte :

— « Va-t’en ! »

Jamais Vania et George ne lui avaient entendu cette voix. Sylvie ne répliqua point et, le front baissé, elle partit. Annette referma la porte sur son dos, narines gonflées, sourcils froncés : (Vania n’avait pas remarqué comme ils étaient épais : ils formaient une barre au-dessus du nez). Elle se retourna et rencontra le regard de l’enfant. Elle se détendit instantanément, elle sourit, haussa l’épaule, et elle dit :

— « Allons, mes petits, quand je vous dirais de n’y plus penser, cela ne vous empêcherait pas d’y penser. Mais ne jugez pas ! Nous n’avons pas le droit de juger. Chacun de nous a ses joies, ses peines, ses déraisons