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le sein d’Annette. Mais elle ne pouvait accuser personne. Tout le monde était pour elle plein de gentillesse. Même George s’accordait le luxe de la plaindre. C’était le comble ! Pour un peu, elle lui eût dit :

— « Voulez-vous emmener le petit ? »

Elle était si sûre de le garder !…

— « Sûre ? Tu es trop sûre… Je l’enlève… »

Assia fut sur le point d’empoigner Vania, et de lui dire :

— « Je te prends. Viens ! Et sur-le-champ… »

Mais qu’aurait-elle fait, s’il lui avait dit :

— « J’aime mieux rester… »

Ou même s’il l’avait prise au mot :

— « Très bien ! Allons !… »

Qu’est-ce qu’elle aurait fait de lui, là-bas, avec cet autre petit qui venait, et cet autre homme ?… Et qu’est-ce qu’il aurait fait là-bas, avec son regard d’un sérieux prématuré et le pli décidé de sa bouche ? Non, il était mieux ici, pour lui, et pour elle…

Mais elle prit sa revanche sur George, en dénonçant les vices de l’éducation du petit. Du premier coup, son œil aigu et sa jalousie les lui avaient fait saisir : cet isolement de petit bourgeois privilégié — (le privilège est à rebours, qui l’appauvrit de la substance de la vie commune…) — ce manque de contact avec le peuple des autres enfants, surtout de ceux qui ont, dès les premiers pas, à se heurter contre les réalités dures et saines : (saines ? malsaines !.. Mais sain est le combat). Elle eût voulu l’y plonger. Ses âpres blâmes furent sensibles à George ; ils réveillèrent ceux que Annette, secrètement, s’adressait. Les deux jeunes femmes discutaient devant elle, avec passion ; chacune défendait sa thèse, jusqu’à la ruiner par l’outrance ; et ce n’était pas pour le seul bien de l’enfant. George sentait qu’au fond Assia avait raison ; mais elle ne