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onze mois après le départ. Mais la violence de sa passion s’épuisa en entretiens avec Annette ; et elles s’enfermèrent toutes les deux. Au premier choc, Vania se replia, avec une politesse trop polie, qui la coupa net dans son élan ; et Assia était intimidée par le regard de son enfant, qui l’étudiait tandis qu’elle parlait. Il était pourtant gentil, affectueux, plein d’égards, — trop d’égards !… Mais ce regard l’observait étrangement. Elle avait envie de se voiler le cœur avec ses mains… Pas seulement le cœur ! Elle portait un autre enfant dans son ventre ; et bien que sa grossesse, habilement masquée, s’accusât à peine, l’œil de Vania la troublait, quand il se posait sur ses flancs. Que voyait-il ? Que pensait-il ? Elle était gênée dans sa pudeur, comme elle ne l’avait jamais été devant un homme. Elle n’osait pas lui demander ce qui se passait dans cette tête ; et il ne l’eût peut-être pas su lui-même. Mais à l’instant qu’elle s’y attendait le moins, brusquement la bouche de Vania s’ouvrit, et il demanda :

— « Et tu es toujours contente de ton mari ? »

Elle qui n’était pourtant pas timide, elle en perdit le souffle, elle ne sut pas ce qu’elle répondait. Il continua :

— « Est-ce que tu l’aimes mieux que papa ? »

— « Oh ! non, » dit-elle, de tout son cœur.

— « Alors, pourquoi l’as-tu épousé ? »

Ce mot acheva de la démonter. Elle dit, confuse :

— « Je ne pouvais pas autrement… »

Il n’insista point. Elle s’inquiétait de son jugement :

— « Tu m’en veux ? Dis, j’ai mal fait ?… »

— « Non, je comprends, tu ne peux pas vivre sans un mari. »

Assia se sentit devant son petit chef de famille, qui lui accordait son indulgence : elle en fut à la fois intimidée et mortifiée. Elle alla verser son amertume dans