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il explique à George sa propre pensée. Elle en voit plus clair sur sa route. Ainsi s’établit entre eux une curieuse égalité ; et c’est souvent la grande qui questionne le petit :

— « Dis, le Vanneau, qu’est-ce que tu en penses ?… »

Où elle lui fut d’un grand secours, c’était en lui évoquant son père. Il l’avait peu et mal connu. Marc était trop pris par ses passions et par son action, pour donner beaucoup de soi au petit. Et à ces passions, à cette action, le petit n’avait, naturellement, prêté qu’une attention distraite ; au temps de la crise entre ses parents, sa mémoire commençait à peine à se dégager de la brume ; et les fragments de souvenirs, que son œil de moineau avait becqués, étaient restés non coordonnés. Ensuite, il s’était habitué à mener sa vie à part de ces deux passionnés, qui faisaient de même. — Mais à présent que les deux avaient été brusquement arrachés de lui, son instinct lui faisait sentir qu’il était un morceau d’eux, ou eux de lui ; et il aurait voulu les ressaisir. C’était trop tard !… Jamais trop tard, quand la volonté a la ressource d’un esprit imaginatif, décidé à forger ce qui lui manque. George lui était une aide de forge : elle déclenchait le mirage de la petite enfance : les scènes qu’elle lui contait de ses années échappées sans trace se projetaient sur l’arrière-fond de son tableau, dans cet inachevé des horizons, qui appelle et accueille toutes les visions. George n’avait point fini de raconter, que les oiseaux enfuis de l’Arche, les noirs, les blancs, avaient déjà trouvé où se nicher dans les buissons des souvenirs de Vania. Ils y faisaient même leurs petits. Et lorsque Vania, à son tour, se répétait leur histoire, en toute bonne foi, il y ajoutait. Il eût été capable de dire à George :

— « Ça n’est pas ça ! Je le sais mieux que toi, George, j’y étais ! »