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paralysée. Ah ! qu’ils aimaient donc à discuter !… Annette riait, en les écoutant. Même en pensant, en discutant, ils avaient l’air de faire assaut avec leurs membres, en jouant.

On peut croire que les problèmes de l’existence, dont les tourments avaient fait saigner la génération d’avant, ne les gênaient guère dans leurs souliers ! (Et d’abord, ils allaient pieds nus dans des sandales.) Le premier de tout : ils étaient, fille et garçon, très bien portants. Ils ne savaient pas ce que c’était que la maladie. Ils ne connaissaient pas par eux-mêmes — (pas assez ! c’est un gros manque !) — la misère, la cruauté du combat pour l’existence. S’ils les eussent connues, il était probable qu’ils eussent été prêts à en affronter les assauts : pour une George, la vie entière est un stade. Mais ce serait trop beau, si c’était vrai ! Le stade même est un luxe. Il ne fallait point se dissimuler que la vie de George et de l’enfant, si simple et saine qu’elle fût, était un luxe. Le plus grand luxe : non pas l’argent, mais le cloisonnement. Cette éducation individualiste était en marge des destinées communes. Annette en avait la gêne sourde. Et plus clairement qu’elle, Sylvie aurait eu son mot à dire là-dessus. Mais elle le disait rarement, n’ayant que de lointaines occasions de se mêler de ce qui se passait dans la maison. Et Annette, qu’une grande fatigue et un besoin invincible de solitude engourdissaient, dans les premiers temps de convalescence de sa blessure, abandonnait à George la direction. Pour mettre sa conscience en repos, elle se disait qu’elle interviendrait un peu plus tard, et qu’il n’y avait point de temps perdu.

Il ne l’était pas, en effet. George battait le fer sur l’enclume, avant de le tremper dans la cuve. Le petit Jean serait en solide acier. Elle n’y laisserait aucune paille. Point de ces troubles ou de ces fuites devant