Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/526

Cette page n’a pas encore été corrigée

mère avait d’agir, et s’il se jugeait lésé par elle, il n’en était pas moins intéressé. Il l’était plus. Il n’était pas un de ces enfants malingres et blessés, qui refoulent peureusement leurs offenses secrètes et leurs rancunes, ou leurs désirs défendus. li était assez abondamment pourvu d’affections, (celles qu’on reçoit et celles qu’on donne), pour qu’une qui semblait s’éloigner de lui ne lui causât point d’amertume ; il était sûr, s’il y tenait, de la rattraper ; et si même elle ne revenait pas… mon Dieu ! il s’en passerait ! Ce petit bonhomme avait une confiance imperturbable en soi et en la vie ; s’il avait su l’exprimer, il eût bien étonné les femmes d’où il était sorti : Assia, Annette. Ce n’était pas un leurre d’optimisme. Il en avait, tout petit, assez vu autour de lui, pour savoir que la vie n’était pas faite en beaux sourires, tendres ou onctueux, de bonnes mamans ou de bons dieux fardés, peignés, barbés, en devanture de magasins rue Saint-Sulpice. Il s’était frotté, de très bonne heure, dès la première, au poil des loups, à commencer par sa mère, et à finir (à ne pas finir !) par ceux qui lui avaient tué son père. Va pour les loups ! Il était de la bande. L’essentiel n’était pas que la vie fût affable. C’était qu’elle fût vivante. Plus il y a de vie, plus d’aliment. Le petit bonhomme avait de l’appétit et de bonnes dents. Et chez les gens, bons ou mauvais, (ils sont toujours un aliment !) il aimait d’abord qu’ils fussent intéressants. Cette mère bourrasque, qui avait passé par dessus l’Atlantique, l’intéressait, ce gamin ! Il ne comprenait pas, mais il humait en elle cet air marin (ou ce vent des steppes ?…) Qu’en savait-il, sinon que ça soufflait ! Beaucoup d’amour, beaucoup de haine, et ces tempêtes (il avait cueilli au vol ses paroles emportées) contre la société… La « société », qu’est-ce que c’était ? Cela où l’on est ?… « On verra