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siècle), dont on disait que son sépulcre au Panthéon était la seule place dont il n’eût pas été avide de prendre possession : (s’il n’en était pas avide, c’est qu’il était sûr qu’il l’aurait : ce dont on est sûr n’a plus d’intérêt). Philippe, repu, irrassasié, cherchait sans trêve, comme le loup « qaem devoret » ; et la misère du butin — le monde rongé jusqu’à la moelle — l’enrageait. Annette et lui n’avaient jamais cherché à se revoir, — sans s’être jamais perdus de vue. Mais après la mort de Marc, qui avait remué quelques échos dans la presse de Paris, Philippe croisa dans une rue la mère en deuil, qui marchait droite et fière, le front haut, ainsi que ces femmes d’Italie qui portent sur leurs têtes leurs lourds fardeaux. Et, saisi d’admiration, il l’aborda. Ils n’avaient presque plus une idée commune. En politique, Villard était partisan des dictatures ; il traitait les masses humaines en troupeaux ennemis qu’il fallait broyer et dompter, comme l’homme — (l’homme digne de ce nom : le maître) — a su faire des autres animaux. Les mouvements de masses appartenaient, selon son dur esprit, aux forces aveugles de la nature, — comme les épidémies. Entre Julien Davy et lui, il y avait une antipathie foncière, qui, par égard pour Annette ne s’exprimait point, — mais implacable.

Et pourtant, Philippe Villard et Annette, quand ils étaient seuls ensemble, ne se heurtaient point à leur barrière. Il existait toujours entre eux — qui les liait — l’étreinte ancienne, ces profondes racines de la chair : (chair est esprit). Ils se connaissaient dans l’amour et dans le combat ; ils connaissaient leurs forces et leurs faiblesses ; celles de l’un appartenaient un peu à l’autre : chacun des deux y avait mordu. — Et il y avait encore ceci, secret, qui les rapprochait : qu’ils se savaient tous les deux, condamnés.