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arrachait, sans égards, à l’irritation des politiciens de partis, dont elle troublait le jeu équivoque. Mais la foule est femme : elle approuvait. Elle a besoin de situations nettes. Annette veillait à ce que les débats ne se perdissent point en en confusionisme oratoire ; elle excellait à les ramasser, à la fin, en une motion claire et pratique. — Elle se dépensa beaucoup en participation active aux divers organismes d’aide et d’action internationale, aux Secours Rouge et Ouvrier, aux Ligues contre l’Impérialisme, contre le Fascisme, et contre l’Oppression coloniale. Une fois le bras dans l’engrenage, tout y passait. Elle dépensait plus qu’il ne lui restait dans son sac. Ce fameux calme, qu’on admirait, lui coûtait une surtension de la volonté contre la pression intérieure. Sous l’apparence de flegme d’une femme grande, robuste, assez corpulente, que l’âge un peu appesantit, sans entamer son énergie, le cœur surmené commençait à trahir.

Les médecins, selon leur habitude, lui faisaient mystère de son vrai mal. Ils tablent toujours sur l’amour anxieux de la vie. Ils ne peuvent pas imaginer que, pour tous les hommes, perdre la vie ne soit pas le malheur suprême et la terreur inavouée. Comme si le fruit mûri de la fin d’automne n’avait pas une volupté à se détacher !… Annette souriait de leurs explications enveloppées. Elle en savait assez, par son expérience d’infirmière et par l’intimité d’hommes du métier, comme Philippe Villard, son ancien amant[1]. Elle l’avait revu récemment. Il était maintenant un vieux homme au front ravagé, les yeux toujours brûlants d’un feu inassouvi, la bouche lourde et dégoûtée, chargé d’honneurs et n’en ayant jamais assez, comme cet autre, Berthelot le Grand (celui de l’autre

  1. Voir L’Été.