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pas contenter tout le monde, tous ceux qu’on aime, tous ceux qu’on a dans son cœur, les vivants et les morts ; chacun soupire : — « Ma joie, ma peine… » ; et ce qui fait la joie de l’un fait de l’autre la peine. C’est aux plus âgés à céder leur part. Seule enfermée avec son grand fils, son aîné, — (les morts sont toujours les aînés des vivants) — Annette l’entendait dire :

— « Donne ma part ! Qu’en pourrais-je faire ? Qu’elle en profite ! Qu’elle soit heureuse, notre enfant ! Qu’elle aime encore ! Soyons heureux de la voir revivre ! »

Jamais Assia ne se montra plus filiale et plus tendre qu’en ces derniers jours avec Annette. Elle lui livra les plus lointains secrets de sa vie passée, de son âme présente, — certains qu’elle n’avait confiés à personne, même pas à Marc sur l’oreiller, (et Dieu sait qu’elle lui en avait fait goûter, dont il se serait bien passé !) — Ils n’étaient pas souvent flatteurs pour elle ; mais il lui semblait qu’elle n’avait pas de meilleures marques de sa reconnaissance à donner que ces aveux qui la dépouillaient de tout prestige ; elle se remettait, sans voile et sans défense, aux mains d’Annette. Elle savait bien que ces mains accepteraient tout, ne rejetteraient rien. Et c’est un tel soulagement ! Une fois, une unique fois dans sa vie, pouvoir se montrer comme on est, comme on ose à peine se regarder dans le miroir, — et s’entendre dire, après : — « Ma fille… » — Même avec Annette, ce n’était possible que parce qu’on allait se quitter…

Oui, Annette accueillait, comprenait. Elle comprenait la valeur de présent qu’avait dans l’esprit de Assia cette confession sans retenue. Elle ne laissait pas d’en ressentir un frémissement au bout des doigts. Tout ce fond d’âme, qu’on ne remue pas habi-