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— « Ce que ça me fait à moi, ne regarde que moi. Ce que ça te fait à toi, ne regarde que toi. Il s’agit d’elle. Elle a le droit. »

— « Le droit, le droit d’abandonner notre petit, et moins d’un an après qu’elle était dans son lit ! »

— « Cette enfant a sa vie devant elle. Nous, la nôtre est par derrière, avec ceux qui sont tombés. Nous suffisons à les veiller. Que ces jeunes gens poursuivent leur route ! Sylvie, c’est bon de marcher droit devant soi, sans se retourner, quand on n’a même pas atteint encore les trente années ! »

— « Je ne tolère pas qu’elle oublie ! »

— « Et toi, t’en es-tu privée ? »

— « De quoi ? D’oublier ? Jamais ! Rien de ce que j’aime. Rien de ce que je hais. »

— « Ne te vante point ! Tu ne me trompes point. Ni toi ni moi n’aurions pu vivre, sans l’oubli. L’oubli féroce et pitoyable, qui fait qu’on meurt et ressuscite Sylvie, Sylvie, combien de fois nous sommes mortes et nous avons ressuscité, laissant derrière nous nos mortes !… »

— « Nos mortes ? Qui ? »

— « Nous : Où est-ce qu’elles sont, les Annettes et les Sylvies d’antan ? »

— « Je les vois toujours, les Annettes, toutes les Annettes », dit Sylvie, lui prenant les mains, les yeux brusquement adoucis, avec un éclair de tendresse. « Je retrouve toutes les pierres du Petit Poucet, que tu as semées sur le chemin. »

— « Eh bien, retrouves-y aussi le petit caillou dur et brûlant qu’était la Sylvie, à l’âge de cette enfant ! Et que cela t’incite à l’indulgence ! »

— « Je ne le suis point pour moi. Pourquoi le serais-je envers cette autre chienne ? »

— « Ne fais point l’embigotée, à présent ! Je t’aime