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courant les derniers restes d’égoïsme. Aucune des deux ne pensait à soi, mais à l’autre — « au pauvre petit » — et à la peine de la sœur. Quand le gros du torrent eut passé, les laissant pleines d’une pitié passionnée, elles se baisèrent mutuellement les yeux et les narines. Avec leurs mains, elles essuyèrent, elles caressèrent leurs joues et leurs bouches…

Puis, Annette, se dégageant des bras de sa sœur, toutes deux étendues sur le lit, côte à côte, se tenant par la main, comme marchant à travers la nuit, — l’aînée raconta à la cadette. Elle dit, en termes brefs et dépouillés, le dernier jour, l’heure fatale. Sa voix était basse, sans timbre, lente, elle s’arrêtait de place en place pour refaire son plein d’énergie, ou quand sa main sentait, dans la main de la sœur, que l’âme de la sœur demandait grâce. Elles arrivèrent toutes les deux jusqu’au bout du récit. Le silence se fit et se prolongea. Sylvie délia sa main, elle se pencha sur la poitrine de sa sœur et mit sa bouche sur la place du cœur. Sa rage du matin était oubliée. Des bribes de paroles religieuses émergeaient de son souvenir :

— « Stabat mater dolorosa… »

Annette, immobile, la laissait faire. Oui, elle se tenait — stabat — debout dans la nuit. Elle caressa maternellement la tête de sa sœur. Puis, elle dit :

— « Maintenant, reposons-nous ! La journée sera lourde, demain. »

Elles se tournèrent le dos, appuyées l’une contre l’autre. Le même flot coulait en elles. Ni l’une ni l’autre ne dormit. Après un long temps, loin dans la nuit, Sylvie demanda, angoissée :

— « Où est-ce qu’il est ? Où est-ce qu’il est ? »

La voix d’Annette répondit :

— « Où est-ce que nous sommes ?… »