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son teint jaunâtre et, dans son peigne, les cheveux emmêlés : (comme ils tombaient !…). Ils grisonnaient, sur les tempes. Elle avait un sourire de pitié méprisante. Son énergie se retrouvait dans le dur jugement qu’elle portait sur cette guenille de corps, cette piètre étoffe usagée. Elle en examinait crûment les mailles relâchées. Et comme sa main palpait son ventre, elle eut une douleur aiguë, tel un couteau qui s’enfonçait. Elle s’affaissa, nue, assise sur le rebord de la baignoire, ployée en deux, et les deux mains pressant la blessure. La douleur disparut, en s’enfonçant. Mais Sylvie s’éternisait dans sa position, suivant le trait au fond de son corps. Elle se redressa enfin, promena sa main sur sa cuisse gauche un peu enflée, autour du genou : la peau très blanche était lisse et tendue ; et toute la jambe était pesante comme une pierre. C’était de là que lui venait sans doute cette lassitude. Mais la lassitude n’eût été rien sans le désarroi qui la poignait, à ce moment. Elle ne pouvait se l’expliquer. Aucune raison. Les choses allaient comme elles devaient aller. Elle vieillissait. Sa vigueur, sa santé, sa vie, fichaient le camp. Elle savait pourquoi ! Quand on sait pourquoi, et que si on est usée, on s’est usée par volonté, en trop jouissant, on ne se plaint point, on en a eu pour son argent. Sylvie ne marchande pas ce qui vaut le prix, pas plus qu’elle ne se laisse marchander en affaires. Bonne payeuse !… Alors, pourquoi cet abattement ?

Elle ne bougea pas de chez elle, toute la journée. L’appartement était désert. Bernadette et son mari avaient profité des congés de la Pentecôte, pour faire une course de plusieurs jours en leur auto, jusqu’à Bayonne. Sylvie, engourdie devant un tiroir ouvert, rangeait, laissait tomber de vieilles lettres, s’oubliait à songer sur une ligne. Le front lui faisait mal, entre