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cultivent, en se gargarisant de nobles vers, comme cet Horace, le chien couchant qui, à la chaîne, jappait fièrement pour la postérité. Celui-là, du moins, avait le cynisme de se vanter d’avoir jeté son bouclier. Mais eux voudraient faire croire qu’ils sont indépendants, alors qu’ils mangent la pâtée. Tacitement s’est établi entre ces fiers intellectuels et le maître (le maître change, mais la domesticité ne change pas) un contrat comme celui qui régit les animaux domestiques. Toute liberté dans ton emploi et dans ma ferme ! Mais n’en sors pas ! Moyennant quoi, je t’engraisse… Ils ont si bien pris l’habitude qu’ils n’essaient même plus de sortir. Quand le maître les lâche au dehors, il est tranquille : ils ont le collier. Le petit nombre qui l’enlève, en cachette, parce que les point encore une honte, en vain font parade de leur cou : il est pelé. Marc rougissait de voir des maîtres qu’il avait estimés, des aînés sur qui il avait compté, s’évertuer piteusement à dissimuler sous une jactance de libre choix le conformisme de pensée, auquel ils avaient fait, par calcul ou timidité, leur soumission. Un tel exemple démoralisait les plus jeunes gens et les exerçait, de bonne heure, à la prostitution de l’esprit : ils se vendaient au plus offrant ; mais, à la façon des prostituées qui sont de marque, ils s’arrangeaient pour faire croire que c’était par amour pour le maître du jour qui les entretenait. Dès qu’une idée — ou rouge ou noire, ou guerre ou paix — devenait officielle ou allait l’être, ils se ruaient à son service, — à ses emplois. Si elle oscillait, ils oscillaient, flairant le vent. Mais si elle mourait, par malchance, subitement, ils ne s’attardaient pas aux obsèques. Ils acclamaient déjà le roi vivant.

C’est de tous les temps. Mais ce qui est du nôtre, c’est que les nôtres, nos hommes, nos biens, les intellectuels et tous leurs Saints-Sacrements d’idéologies