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quand déboucha d’un coin de rue un homme âgé, à barbe grise, un peu voûté, avec des traits nerveux et émaciés d’intellectuel et des yeux de myope derrière le lorgnon. Il jetait autour, en marchant, des regards troubles et inquiets. Un jeune garçon de quatorze à quinze ans le devançait ; et ses yeux vifs saisirent les noirs oiseaux embusqués, l’instant d’avant qu’ils fondissent. Il se rejeta, avec un cri, vers son père, en tâchant de l’entraîner vers la porte d’une maison. Mais la bande entière, dans une clameur, s’était abattue. En un instant, l’enfant fut projeté à dix pas, et roula. Le vieux homme, cerné, giflé, le lorgnon cassé sur les yeux, un coup de pied au ventre, se plia en deux, fléchit, tituba, s’agrippa, hurla. Un des assaillants, vociférant, leva sa trique. Le jeune garçon, qui s’était relevé, se précipita devant son père, pour parer le coup reçut la trique sur le bras levé qui craqua, comme un baliveau, tomba, fut piétiné sauvagement et traîné par le cou, vers la berge, ainsi qu’un chien qu’on jette à l’eau.

Tout ce tourbillon de film sonore s’était déroulé, à l’accéléré, avant que Assia eût eu le temps de reporter son attention sur Marc. Quand elle y songea, Marc venait de s’élancer.

Leur groupe de trois était isolé sur la chaussée. Tous les passants peureusement avaient fui, ou de loin, cachés, regardaient. Un officier supérieur, âgé, décoré, passant en auto près des tueurs et de l’enfant criant à l’aide, détourna les yeux, et le chauffeur accéléra. Marc cria :

— « Lâches ! »

Son cœur avait bondi, avant lui. Il se trouva, avant d’avoir su ce qu’il faisait, en pleine bande noire, qu’il enfonça, comme un boulet. Il arracha de leurs griffes l’enfant, dont l’avant-corps pendait déjà par-dessus le parapet. Mais ce ne fut pas long. Presque aussitôt,