Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

tous. Qu’ils te mangent, ceux qui ont faim ! Et que l’on soit, tous les trois, bus et mangés ensemble ! »

Au Ponte Vecchio, les deux femmes s’attardèrent, pour acheter des souvenirs dans les boutiques. Des mosaïques, des reliures. Assia voulait des cornes de corail, pour mettre en fuite le mauvais œil. Bien qu’elle en rît, il n’était pas sûr qu’elle n’y crût, au fond de son âme emmêlée. De religion, plus une trace ! Mais des superstitions, tant qu’on voudra ! C’est un jeu. Et pour bien jouer, il faut se prendre à son jeu. — Tandis qu’elle furetait dans les boîtes, elle ne voyait pas autour d’elle le mauvais œil qui rôdait. Marc, qui n’avait point comme elle ses regards occupés par ses doigts, remarquait, à l’entrée du pont, des chemises noires, de jeunes hommes aux aguets, dont quelques-uns faisaient la ronde ; et en passant derrière son dos, ils l’inspectaient. Il surprit entre deux d’entre eux des regards qui le désignaient. Il n’en dit rien à ses compagnes. À tout autre instant, Assia eût, avant lui, vu et peut-être reconnu : car ce n’était pas la première fois que de telles figures les croisaient. Mais les fétiches de corail, comme les dieux d’un autre clan, lui tenaient les yeux et la menaient au traquenard.

Emplettes faites, les deux femmes retournaient, avec Marc, vers l’entrée du pont ; et ils venaient de croiser le groupe de guet, avec lequel Marc s’était toisé. — Assia, babillant de ses babioles, s’interrompit net et se retourna, une fois passée : elle avait cru voir (illusion !) passer en taxi le vieux « oldman » de Lugano, le confident de Buonamico ; et elle suivait du regard le taxi qui s’arrêtait à quelques pas ; elle guettait. Mais personne ne descendit ; et tandis qu’elle regardait en arrière, la jettatura, encore la trompait, et le mauvais sort venait par devant…

Ils s’engageaient sur le quai du Lungarno Acciajoli,