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— « Ne t’excuse pas, va, mon loup ! » disait Assia. « Je sais très bien que quand je serais dix fois plus laide encore que je ne suis, tu m’aimerais plus que la plus belle. Tu n’y peux rien ! Car tu me tiens et je te tiens. Donne-t’en donc, plein les yeux ! Ton Assia n’est pas jalouse. Et même, si ça t’en dit, baise la bouche d’une de ces filles aux yeux de braise, qui portent des paniers sur leur tête et qui s’avancent sur la route, comme des Victoires, dont la nef dresse à la proue le bouclier de leurs seins durs ! Tu m’en rapporteras le goût d’orange… »

Elle ajouta :

— « Ou bien d’oignon… Ça ne fait rien ! Je ne suis pas jalouse d’un fruit. Ta bouche est à moi. Réjouis ta bouche ! Tout est à moi. »

Leur allégresse allait croissant, en avançant en Italie. Elle eut sa pleine lune, après la traversée de l’Apennin. Les deux femmes guettaient d’avance l’émoi de Marc, à ses premiers pas dans Florence. Elle dépassa leur attente. Marc perdit le souffle, quand il se vit enserré dans les rues étroites aux larges dalles, entre les parois implacables des hauts palais, et, se dressant, trouant le ciel, l’épée nue de la tour de la Seigneurie. L’effroi, premier. Il ne le dit pas. Le coup de poignard. Ses jambes fléchirent, il s’adossa contre le mur. Puis, comme de la brèche le jet de sang, l’admiration jaillit en cris. Ses compagnes riaient : elles ne voyaient que la beauté. Du Quattrocento des massacres, de la mort embusquée à chaque détour, elles ne touchaient des yeux que la robe d’art et la cotte d’armes fine et fière, l’Armeria, dont les siècles, ces gardiens de musée, ont frotté les taches de sang. Mais Marc, bon chien, du premier coup flaira la rouille. Le sang est le sang. Il n’a pas d’âge. Était-ce celui de Matteotti ?… Au coin de la place, Annette lui montrait où fut brûlé le bouc