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Et c’est à partir du moment où elle les vit, que le torrent de passion de Assia décrut. Ce n’était plus le maître mystérieux, qu’interrogeait son attente hallucinée. Il était un petit d’homme très ordinaire, qui n’avait rien de celui qu’elle avait perdu, presque rien d’elle, — qui ressemblait à ces petits Français que Assia voyait, chaque jour, sans intérêt, exposés au pâle soleil du Luxembourg par les fourmis ouvrières, et qui n’était point de l’étoffe de son rêve. Quelle trahison !… Et il était sain, normal, et exigeant ; il ne se laissait pas oublier. Sa voracité était encore par quoi il tenait Assia solidement, au téton. Elle éprouvait une satisfaction animale à sentir cette bouche goulue lui vider son sein. Oui, il la tenait, il la tenait bien ! Et sourdement, elle lui en voulait ; elle pensait :

— « Quand et comment échapperai-je ? »

Elle oscillait entre la rancune et l’amour. Et la découverte la plus accablante qu’elle fit, c’est qu’elle ne pouvait plus maintenant être ni tout à fait libre, ni tout à fait prise… Si elle avait pu être tout à fait prise ! La nature entière de Assia (entière et changeante avec la succession des instants, mais chacun des instants tout entière) ne pouvait rien moins supporter que le oui et le non à la fois… Néant !… Mieux vaut le pire ! Elle essaya sincèrement de se donner tout entière à l’enfant… Impossible ! Il faut se faire illusion, comme ces mères qui croient avoir pondu l’œuf de Pâques et pour qui leur caneton déplumé est le miracle des miracles. Assia soupesait l’oison dans sa paume, Jet elle pensait :

— « Un médiocre de plus dans le monde… Y sacrifier ma liberté, non, c’est trop !… »

Et cette liberté, que valait-elle ? Qu’en faire ? À quoi l’occuper ?… Assia était trop franche pour se leurrer, sur lui, sur elle. Si elle était née avide et impérieuse,