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s’agissait pas d’en gaspiller un seul. Et tant pis pour les éclopés !… Annette, riante, faisait contre fortune bon cœur. Et s’engourdissant dans ses draps, évitant de bouger pour ne pas réveiller la douleur, la fenêtre ouverte, les oreilles remplies par le gai bruit, elle s’entortillait le regard autour des blancs balustres, des astragales, des petites flèches de la forêt de marbre du Duomo, jaillissante au-dessus des toits dans la fine brume ensoleillée, que nimbait l’envol de pigeons blancs. Les heures passaient, sans qu’elle les comptât ; et elle ne se trouvait pas abandonnée. Ils ne revinrent pas pour le déjeuner. Elle approuva leur égoïsme, et lut le Baedeker sur Milan, comme un Ersatz, pour remplacer le « giro » qu’elle aurait fait avec eux. Elle s’endormit, en le lisant…

Un bruit de pas dans le couloir, à la porte des coups impérieux… Elle sursauta… Il devait être quatre à cinq heures de l’après-midi. Elle dit :

— « Entrez ! »

Entrèrent un, deux, trois personnages à lourdes joues et mandibules rasées, qui roulaient des yeux terribles et bonasses. À leur allure de Jagos d’opéra-bouffe, Annette reconnut des policiers, — qui encadraient Marc et Assia. Et derrière la porte refermée, on entendait dans le couloir le pas militaire d’un quatrième chien de garde. Marc était pâle, contracté, il protestait, d’une voix étranglée, qui s’efforçait à ne pas crier. Assia, très à son aise, échangea avec Annette, par-dessus l’épaule des gardiens, un bref clin d’œil malicieux. Sans autres explications, deux des trois hommes fouillèrent les malles et les effets. Le troisième, installé sans façons au bureau d’Annette, écrivait le procès-verbal. En un instant, la chambre et celle, voisine, du jeune couple, furent jonchées de vêtements. Les grosses pattes fourrageaient les chemises de Assia.