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sous un autre pli fermé, à l’adresse d’un ami de Milan, qui se chargerait de la faire passer.

Assia se tut. Discuter n’eût servi à rien : les deux benêts s’étaient engagés. Pour Annette, c’était affaire de cœur ; pour Marc, affaire d’honneur. Honneur et cœur ne gênaient pas beaucoup Assia, quand ceux qu’elle aimait étaient en jeu. Elle ne s’embarrassait pas de scrupules inutiles. — La nuit d’avant leur départ de Lugano, Marc dormant, elle sortit du lit, alla fouiller dans le veston de Marc, prit dans la poche de côté le portefeuille où il avait mis la lettre, l’en extirpa et, la conscience satisfaite, glissant le butin sous l’oreiller et son corps de chatte entre les draps, elle lutina Marc, pour achever la plaisanterie. Marc, réveillé, sous le lutin, protestait, sans comprendre pourquoi la folle riait, riait…

Le jour suivant, elle prit son temps pour examiner l’enveloppe dérobée ; elle la décacheta très proprement, lut et relut, le museau froncé, l’œil mauvais, soufflant du nez ; elle s’immobilisa devant la lettre, l’étudia, se la récita du premier mot au dernier, puis la déchira par petits morceaux, cracha dessus, comme elle eût fait sur le sale museau de l’écriveur, et les brûla. Justice faite, mais non rassasiée, elle passa sa langue sur ses lèvres, et elle écrivit, la méditant, une autre lettre qu’elle glissa sous l’enveloppe intacte qu’elle recolla. Le tout reprit le chemin de la poche de Marc, où elle réussit, avant le départ, à faire rentrer son poulet.