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complots, évoquant le souvenir des conjurés carbonari. Les vieux politiciens de l’émigration le regardaient comme un romantique, et s’en méfiaient. Les jeunes, plus portés à l’action, l’écoutaient volontiers, mais, avertis par l’expérience, n’accueillaient qu’avec réserve ses suggestions. Il était tenace et patient. Et il parlait, avec des larmes et une rage refoulées, de sa vieille mère et de son jeune frère, qui étaient retenus à Faenza, comme otages, et dont la vie était menacée. Son émotion était ressentie par ces proscrits, dont beaucoup souffraient des mêmes douleurs. Il avait accès chez tous, serviable, actif, point quémandeur ; on lui connaissait seulement la manie de vouloir toujours laisser en dépôt chez l’un, chez l’autre, quelque valise ou des papiers : ce qui pouvait se justifier, car il était constamment en voyage ; mais on n’était pas très flatté d’être choisi comme dépositaire : des désagréments encore récents avec la police de Paris avaient appris qu’il n’est pas bon pour un proscrit que sa main droite ignore ce que sa gauche a reçu. Généralement, on s’arrangeait pour repasser le dépôt à un autre. En fin de compte, Marc l’avait plus d’une fois reçu et gardé, — quoique sans plaisir : car il trouvait désobligeant d’esquiver l’offre ; et il souffrait pour Buonamico de ces affronts. Mais il avait sans doute l’épiderme plus sensible que Buonamico, qui n’en témoignait nul dépit, même pas l’ombre d’un souvenir : car inlassablement il recommençait ses tentatives auprès de ceux qui les avaient deux ou trois fois écartées. Si honte il y avait, elle eût dû être plutôt pour les refuseurs, car rien n’était venu justifier leur méfiance.

Que Buonamico fût sans rancune, il n’était pas sans gratitude ; et il favorisait Marc d’attentions spéciales. Deux ans avant, au temps où l’on travaillait à l’évasion de prisonniers aux îles Lipari, nombre de personnalités,