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Ce n’était pourtant point la première fois qu’elle était mère… Oui, il y avait ce terrible souvenir, qu’elle refoulait, cette petite victime, ce fruit sanglant… Elle l’avait repoussé dans l’oubli, elle l’enfonçait au fond de l’eau… Il le fallait !… Si elle ne l’eût fait, elle fût tombée en convulsions… Mais était-elle sûre qu’il ne reviendrait plus à la surface, — qu’il n’était pas revenu ?… Et si c’était lui, le nouveau venu, celui qui s’éveillait, là, dans son lit ?… Il y a de ces éclairs fous qui transpercent soudain le crâne halluciné d’une femme. Et il serait inutile de les raisonner. Elle n’essaie pas. Tout ce qu’elle peut, c’est de tâcher de n’y pas penser, laisser passer, faire comme si elle ne savait pas. Y résister, c’eût été les voir en face… Les voir en face, son sang se glaçait… Elle se repliait, la face enfouie dans l’oreiller…

— « Je n’ai rien vu. Je ne sais rien… »

Mais l’instant d’après, elle recommençait, d’un regard de côté, à épier le nouveau-né… Toute la vie de Assia était faite de ces refoulements et de ces explosions dans les cavernes de l’être, que recouvrait de ses nuées avec leur écharpe d’arcs-en-ciel le mouvement perpétuel de l’existence quotidienne, la seule qu’il fût permis de regarder.

Elle était donc dans une attitude de défense, en face de cet inconnu, — de l’enfant. Presque plus de crainte (d’hostilité même, par brefs instants) que d’amour. L’instinct maternel était chez elle peu développé, et la catastrophe du début l’avait, par une obscure autodéfense, étranglé : elle n’aurait pu vivre avec cette affreuse plaie ouverte ; la volonté de vie l’avait recousue grossièrement ; et le sourd battement de la maternité étouffée était interprété dans un autre sens, avec la complicité de la conscience : son appel avait été, comme chez tant de femmes, dévié vers l’amant. Elle