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acteur que son rôle prend, mais qui se regarde jouer, — était un banquier du Veneto, en villégiature avec sa famille à l’hôtel voisin du chalet, où les Rivière étaient campés. Il les avait remarqués, au passage ; et son attention toujours en éveil avait reconnu Annette, pour l’avoir vue, une seule fois, chez Timon, à son bureau, où le rude maître avait eu recours à la mémoire de la secrétaire pour des détails précis de correspondance et d’affaires. Le rôle joué par Annette auprès du condottiere n’avait pas été sans l’intriguer ; il avait pris soin de se renseigner : ce qu’il en avait entendu, bien ou mal, l’avait intéressé à la dame. Il connaissait, lui aussi, les condottieri ! Son regard trottant avait sans bruit pris les mesures de la mère, du fils, et de la bru : aucun des trois ne lui avait paru indifférent. Il les invita tous les trois, à souper, le soir. Il était difficile de se dérober, dans ce lieu où ils étaient presque les seuls voyageurs : (la saison commençait à peine, et l’hôtel n’était rouvert que depuis une huitaine). La gratitude des parents avait besoin de se manifester : le mieux était de s’y prêter, de bonne grâce. On eut donc quelques heures de cordial entretien, où la chaleur communicative des Italiens conquit la réserve, même de Marc et de Assia. Leur affectueuse expansivité n’était pas jouée ; et la confiance témoignée par le banquier n’avait rien à gagner de ses obscurs partenaires d’un soir : elle valait d’eux quelque retour. Ils parlèrent en toute liberté.

Leone Zara était un Juif dalmate, d’une vieille famille installée à Venise, qui dirigeait une des banques les plus importantes d’après-guerre. Sa femme, judéo-américame, appartenait aussi au monde de la finance. La Banque de l’Adige et de la Piave avait su, après la marche sur Rome, lier partie avec le régime, dont elle