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Assia en eût jugé ainsi. Elle est un traître à sa patrie, la femme qui livre à l’homme les secrets de la femme en amour… Et chacune l’est, à son tour. Mais aucune ne le pardonne à l’autre…

La désaffection du jeune couple avait commencé : Assia n’eût pourtant pas cédé un pouce du terrain conquis à Annette. Au contraire, il semblait qu’elle s’acharnât à la possession de l’enclos, à mesure que le vent du doute soufflait en elle :

— « Pourquoi suis-je venue m’encager dans ces murs ? »

L’enfant, qui levait dans son ventre, faisait aussi partie de la conquête. Cet innocent !… (L’était-elle moins ? Tous deux, aveugles…) Il était le drapeau du vainqueur. Et l’homme qui le plante, ne se doute pas qu’il est la hampe : il est pris.

Oui, mais Assia s’aperçut, trop tard, qu’elle était prise aussi. Elle s’était passé la tête au même licou. Et qui les tenait ? Ce petit corps sorti de son corps, et qui lui rivait Marc enchaîné, il l’enchaînait également, il les rivait tous les deux à l’au-dehors, à l’anonyme, au maître obscur qu’ils redoutaient et se refusaient à accepter — au corps social, avec sa masse écrasante de servitudes. Ils étaient liés, liés par leur pousse à ce polype inextricable de racines et de radicelles, aux fatalités de cet aveugle cheminement et de la sève, à ses erreurs et aux châtiments qui l’attendent. Ils ne pouvaient plus les observer, du dehors, avec un détachement dédaigneux. Ils étaient allés se jeter dedans le filet.

Prise à son piège, la « niña » ! Cela ne s’avoue point. Mais elle avait la gorge serrée, comme d’un lacet autour du cou… Et c’était lui, lui, l’étrangleur, ce nouveau-né, avec ses menottes en chiffons ! Penchée sur lui, Assia l’épiait de ses regards troubles et rancuniers. Elle était prise au dépourvu.