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être sûre que j’en ferai autant. Mais je ne sais pas si je pourrai… J’envie vos yeux… Vous avez les yeux d’une nouvelle épousée. »

— « Tu n’es pas folle ? » dit Annette, honteuse et contente.

— « Non, c’est vous. »

— « C’est toutes les deux », dit Marc.

— « Et moi ! » réclama George.

Ils étaient fous, tous les quatre… Beata stultitia… Les quatre innocents riaient…

Vers le matin, Annette veillait seule, assise dans un coin du compartiment. Les autres dormaient. Elle les couvait. Quand blêmit l’aube, à la frange des hauts plateaux, elle pensa : — « Déjà !… » Elle eût voulu que la nuit ne finît jamais. Elle tenait tous ceux qu’elle aimait, sous ses ailes. À ses côtés, son fils, les yeux fermés, inclinait son visage vers l’épaule maternelle. Sur son jeune front, que le souci avait rayé de son ongle, Annette se pencha, étudiant le livre des jours meurtris. Il y avait bien des secrets écrits… Ah ! si elle avait pu lui prendre ses blessures !… Elle avança l’épaule sous la tête du donneur, qui s’y posa. Les yeux de Marc s’ouvrirent, et l’ombre du visage s’effaça. Il sourit à la bouche de la mère qui effleurait ses paupières. Sans bouger de l’appui de l’épaule, il dit tout bas :

— « Notre première nuit de voyage, ensemble… »

— « Il y en a eu d’autres », murmura Annette.

— « Quand ? »

— « Tu n’étais pas encore né. »

— « Où allions-nous ? »

— « J’allais te vêler aux champs. Je fuyais… »

— « Comme la vache Io. »

— « Non, aucun taon ne me piquait. J’avais le bonheur dans mon ventre. »