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Annette ne le sut qu’après qu’il fut venu ; — alors, elle sut qu’avant, elle l’avait vu. Sur ses yeux larges de citerne, bien des reflets, aux autres yeux inaperçus, passaient dont sa conscience ne consentait pas à lui rendre compte.

Mais elle s’inquiéta de l’état de Marc, dans les jours qui suivirent la bagarre. Il était absent, soucieux, harassé. Le corps-à-corps tragique de la soirée, d’où l’adversaire ne s’était pas relevé, n’eut pas pour Marc les conséquences judiciaires qu’on pouvait craindre : car les témoignages établirent que la victime avait été l’agresseur, et que seul le désastreux hasard d’une chute avait provoqué la lésion fatale. La face blessée de Assia gardait gravée la brutalité de l’attaque, qui excusait celle de la défense. Et les poursuites furent abandonnées. Mais Marc n’abandonna point la plainte en justice, que dans son cœur il portait contre lui-même : car il était seul à bien savoir la volonté de meurtre qui avait rempli ce cœur. S’il n’en parlait à personne, il avait en soi prononcé l’arrêt. Il était las de lui et de ce qu’il faisait. Il n’avait plus goût au travail. Il se désintéressait des fureurs qui s’exprimaient contre lui, dans les journaux ennemis. Assia elle-même dut convenir avec Annette que leur garçon avait besoin d’être éloigné, pour quelques semaines, de son milieu de Paris, et qu’un voyage serait la meilleure cure aux préoccupations qui l’assiégeaient.

Les circonstances se prêtèrent à l’exécution du projet. Une somme d’argent assez rondelette, inattendue, revint à Marc, pour un scénario de film qu’il avait élaboré. Et Assia déclara que cet argent, il fallait le dépenser :

— « Capitaliser l’argent est immoral », disait la pince-sans-rire : « mes principes ne me le permettent pas. Mais ils m’autorisent à le manger, si je — si tu —