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le secoua. Julien lui tenait les mains, lui parlait ; il avait été péniblement saisi de l’accès de folie meurtrière qui s’était abattu sur le jeune ami ; mais il tâchait de ne pas le lui laisser sentir, afin de l’en libérer au plus vite ; il disait des paroles calmes et cordiales, sans allusion à la scène qui venait de se passer. Mais Assia frottait sa joue sanglante contre la joue pâle de Marc. Il en frémit, quand, à l’arrivée, dans leur chambre, il vit à son visage ce sang, et dans le regard de Assia, bavarde, excitée, une lueur de triomphe. Assia ne songeait qu’à la bataille et aux dangers courus ensemble. Mais il lui prêtait la joie d’une victoire qu’elle avait remportée sur lui. Il avait été tel qu’elle voulait et qu’il ne voulait point. L’action avait eu raison de la pensée. Il avait été — il serait toujours — — en dépit de ses engagements intérieurs, de son vœu pris, de sa volonté, balayé par le torrent de la violence ; et il savait que celle-ci pourrait être, à tout instant, aujourd’hui, demain, qu’elle serait, — comme elle venait d’être — effrénée. Ses mains, son cœur et ses pensées n’étaient plus à lui, étaient à la force sauvage ; elle en disposait, et elle en disposerait. Prostré, vaincu, mais ne supportant pas sa défaite, il était maintenant couché dans son lit, et Assia l’étreignait ; mais abandonné dans ses bras sans un mouvement, il était comme le corps abattu du jeune ennemi qu’il avait brisé, et il le revoyait, la face livide, avec l’étrange ressemblance ; il se disait :

— « C’est moi que j’ai tué ! »

Et de nouveau, dans cette nuit, sous les baisers ardents de Assia, fiévreux comme elle, mais l’âme lointaine, il supplia ses destinées de le sauver de cela qu’il voyait venir. Tandis que Assia, lâchant ce corps d’où l’esprit était parti, tombait enfin dans un sommeil lourd, secoué de soubresauts, Marc, solitaire, dans le