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l’ouragan se déchaîna. Sifflets et huées, les hurlements de ses partisans, en s’y opposant, s’y ajoutaient. Marc attendait que se fît une trouée de silence ; mais à peine rouvrait-il la bouche, que le tumulte redoublait. Volonté nette de l’empêcher de parler. Il cria. Et les notes aiguës de sa voix firent effraction dans les interstices du vacarme. Il s’enrageait, et peu maître de lui, impatient, il devint, à son tour, insultant. Certains de ses mots, durs et cinglants, allaient se plaquer, comme des soufflets, sur des faces qu’ici et là il visait. Les faces fouettées s’enfuriaient. Les gens se levaient, tendant les poings. Et brusquement, une poussée !… Comme une houle, remuant la foule, brisant toutes les contre-poussées, une bande se rua à l’assaut de l’estrade. C’étaient de jeunes messieurs d’Action Française, ou des équipes à Coty qu’on avait chauffés à blanc, et qu’attisaient des gueules brutales d’allumeurs, qui en donnaient pour leur argent. Du haut de l’estrade, Assia les regardait venir, plantée devant Marc, qu’un petit groupe d’amis voulaient défendre ; et elle ne pouvait s’empêcher de lancer à ceux d’en bas des apostrophes provocantes, qu’accentuait une mimique trop expressive : avançant les lèvres, elle faisait mine, à la façon russe, de cracher dessus…

La vague humaine bondit. Poussés, portés par les rangs pressés derrière eux, cinq ou six des plus violents sautèrent sur l’estrade ; et le plus leste, un jeune homme de l’âge de Marc, et qui lui ressemblait étrangement : maigre comme lui, et comme lui le visage fin d’un intellectuel, mais les yeux exorbités, fou de fureur et de haine, comme un intoxiqué d’alcool. Il vociférait, la canne levée, et se ruant sur Assia, il la lui asséna en plein visage. Elle eût été assommée, si Marc, sautant par-dessus la table, comme un chat sauvage, ne se