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raient la bouche au traître, avec leurs poings. Mais depuis longtemps, le diapason des luttes de gueule était si élevé qu’on n’attachait plus d’importance à ces menaces homériques d’apaches du Roi ou de la République.

Or, en ces dernières semaines où s’annonçait la saison nouvelle, le baromètre marqua, dans l’air, un changement de temps. Et ce soir-là du 18 mars, dès leur entrée au meeting où Marc devait parler, ses amis flairèrent la bourrasque. Julien Davy et Assia se trouvaient, avec Marc, sur l’estrade ; (Annette et Bruno étaient restés à la maison : ils n’aimaient pas ces réunions). Une effervescence inaccoutumée remuait la salle, avant que la séance fût ouverte. D’âpres discussions s’engageaient. Aux premiers rangs, et sur la périphérie de la salle, s’étaient glissées des figures excitées et d’autres, suspectes, qui paraissaient obéir à des consignes d’attaque et de groupement. Marc et Julien furent l’objet, à leur arrivée, de cris hostiles, contre lesquels le reste de la salle réagit. Leurs partisans étaient plus nombreux, mais inorganisés. Le tumulte se calma pourtant, soudain, comme sur l’ordre d’un chef d’orchestre. Assia aux yeux aigus vit et comprit qu’ils se réservaient pour mieux attaquer, au coup de baguette. Elle-même était connue et repérée ; elle attrapait au passage les regards de haine, qui prenaient sa mesure ; elle les soutenait hardiment et les défiait.

Le discours de Julien fut accueilli par quelques insultes, vite réprimées ; la froideur même de son débit les désarmait ; et sa qualité officielle de grand Universitaire, de savant notoire, en imposait : aussi bien, c’était, chez lui, seulement le pacifiste, le « Boche », que l’on visait : et c’était déjà une autre histoire — un plat refroidi ! Mais aussitôt que Marc se leva,