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de Sancho, — l’âme de l’Occident chemine infatigablement. Et cette marche inlassable fait partie de la course des mondes, dans l’horlogerie éternelle. Marcher, c’est, qu’on le veuille ou non, avoir foi. Et c’est une foi qui vaut bien celle de la prière ! La prière est la voie qui mène à l’Être. Mais la marche est la route que fraient les pieds de l’Être. C’est par le mouvement qu’il inscrit sa trajectoire sur le tableau noir de la nuit.

Et ce fut par cette foi invincible en la vie en mouvement que Bruno et Julien, sans être ou vouloir être d’aucun parti, durent nécessairement coopérer avec le parti de Marc. Ces deux hommes étaient experts à lire, comme aux rayons Roentgen, dans le grand corps de l’humanité, où est la vie, où est la mort. Et leur sens infaillible faisait son choix : là où était la vie, là était leur patrie. Ils la trouvaient chez tous ceux — individus et nations — qui, dans le tragique : « Meurs et deviens ! » du vieux monde, participaient à la grande Mutation, — les pionniers de nouvelles sciences, de morales nouvelles, des nouvelles sociétés, — tous ceux qui brisent la ceinture des préjugés et des abus, (ou qui l’élargissent, d’un cran ou deux, disait ironiquement Bruno.)

L’enfant grandit, il lui faut une nouvelle pointure. Le monde enfant du siècle des guerres et des Révolutions universelles faisait sauter toutes les agrafes, toutes les gaines, les dieux, les lois et les frontières, qui avaient été jusqu’à cette heure à la mesure de ses membres. N’avait-il pas, en se relevant, heurté du front, crevé le plafond de son antique Univers solaire, passé la tête au travers des myriades de la Voie Lactée, et dragué de l’œil toute une brassée d’autres univers, comme des méduses au fond de la mer, les chevelures, les gouttes de sperme des grandes Nébuleuses Spirales ?