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Russie Révolutionnaire d’avant 1905. Avec cette différence, essentielle, que maintenant existait l’U. R. S. S. comme exemple et comme appui. Il fallait se mettre à l’école des stratèges de Moscou, mais en connaissant les ressources propres du pays, ses besoins d’esprit, et les tenaces tentatives de ses vieux partis de Révolution, — de ses invalides des campagnes du passé et de ses jeunes syndicats. Marc désormais s’y appliqua. Il n’était encore qu’un écolier. Mais il tâchait de rattraper le temps perdu. Il lui fallait être prêt, pour le jour où les forces d’agir se compteraient.

Julien et Bruno le voyaient faire. Ils lisaient ses intentions. Et ils ne faisaient rien pour l’en détourner. Ils étaient assez libres pour les comprendre et les approuver, chez un jeune homme, affamé, comme lui, d’agir sans compromis. Mais ils n’avaient aucune envie de faire comme lui. C’était le vice incurable de cette génération des plus sincères intellectuels. Ils voyaient trop loin, pour bien voir près. L’un voyait, quels que fussent les acteurs, le dénouement aux yeux crevés, l’Œdipe sanglant de la tragédie. L’autre voyait le jeu : masque tragique ou comique, dessous le même visage du Dionysos aux yeux de panthère, du Rêve de la vie, couronné de pampres. Ils avaient beau se laisser prendre, par moments, au jeu : ils aimaient mieux s’asseoir et le regarder. Marc s’irritait en vain à essayer de les faire lever de leur siège. Il se brisait contre ces yeux qui l’approuvaient affectueusement, mais pour qui il était un spectacle vivant. S’il avait eu, du moins, à les combattre ! Mais point. Ils semblaient lui dire

— « Va, mon petit ! tu es dans ton chemin. Va ton chemin !… »

Mais ils restaient en dehors du chemin. Ils lui appor-